Gestion des interruptions de tâches (IT), principes généraux

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                et la sécurité du patient

Gestion des interruptions de tâches (IT), principes généraux - Fiche méthode 603

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  • Une infirmière qui vérifie une ordonnance

"L’Interruption des tâches (IT) est définie par l’arrêt inopiné, provisoire ou définitif d’une activité humaine. La raison est propre à l’opérateur, ou au contraire, lui est externe.

L’IT induit une rupture dans le déroulement de l’activité, une perturbation de la concentration de l’opérateur et une altération de la performance de l’acte. La réalisation éventuelle d’activités secondaires achève de contrarier la bonne marche de l’activité initiale"1-2.

Auteur : Dr Marie-Christine MOLL, gestionnaire de risques, Directeur Scientifique de la Prévention Médicale, Vice-Présidente de la SoFraSimS, chargée de mission HAS / MAJ : 14/01/2021

Contextes

L’analyse des événements indésirables graves associés aux soins montre que les causes liées à l’équipe sont majoritaires.

Quelques chiffres...

La base de données de l’accréditation volontaire des spécialités à risques identifie entre 2011 et 2013, 28 700 événements porteurs de risque et attribue près de 27 % des causes aux problématiques d’équipe.

Parmi ces problématiques d’équipe, 35 % des causes relèvent de la communication entre professionnels.

Un travail réalisé par le CHU d’Angers en 2013 démontrait que 19 % des causes des EIG, soit 1 EIG sur 5 (n=250 annuel) relevait d’une interruption de tâche3.

Véritable nuisance dans les organisations, les interruptions de tâche brisent la concentration sur la tâche et sont un facteur prépondérant dans la génération des erreurs, en particulier dans les activités complexes ou à fort enjeu sécuritaire.

Cependant, l’interruption de tâche n’est pas une fatalité : voici quelques principes généraux pour lutter efficacement contre ce fléau des organisations.

Les étapes du projet

Il est important de comprendre que, culturellement, le soignant considère qu’il doit être disponible à tout instant pour remplir sa mission de soin.

Il considère donc l’IT comme "normale". Il n’imagine pas devoir dire "non" à une sollicitation, sans pour autant se poser la question :

"Cette demande est-elle plus importante que la tâche que je suis en train de réaliser ?"
"Est-elle pertinente à ce moment précis ?"
"Est-ce une urgence au regard de la sécurité de la tâche que j’effectue en ce moment ?"

L’enquête réalisée au CHU d’Angers montrait que 95 % de 495 IT recensées étaient non justifiées2 (exemple : IDE en préparation des médicaments, interrompue par un interne qui vient lui demander son aide pour une ponction lombaire à effectuer quand le patient sera de retour de sa consultation).

Il faudra donc agir sur la sensibilisation des professionnels et, plus difficile, faire évoluer la culture de toute l’équipe, médecins compris.

Etape 1 : Communiquer afin de partager les enjeux

Les objectifs

  • Sensibiliser les professionnels de l’équipe aux risques liés à l’interruption de tâche.
  • Favoriser l’adhésion des professionnels paramédicaux ET médicaux au projet "gestion de l’interruption de tâche".
  • Favoriser le respect des règles établies dans l’unité pour limiter les interruptions de tâche.

La méthode

  • Réunir tous les acteurs de soins intervenant dans le service (équipe médicale et paramédicale, secrétaires, kinésithérapeutes, assistantes sociales…).
  • Utiliser un diaporama de présentation comme support de réunion présentant :
  1. Les risques liés à l’IT : erreur de dose de médicament, erreur d’identité de patient, omission de revenir à la tâche, oubli de tâche ou au contraire doublon...
  2. La fréquence des IT identifiée dans la littérature : l’analyse de 14 études estime le taux d’IT à 6,7 IT/H/IDE4.
  3. Si la base de données en matière de gestion des risques de l’établissement est suffisante, illustrer par des exemple d’EIG induits pas des interruptions de tâche.
  • Clôturer la réunion par la création d’un groupe de travail pluri-professionnel.
  • Il est par ailleurs important d’être appuyé par une communication institutionnelle (CME, CSIRMT, CDU) car les IT peuvent être le fait de professionnels extérieurs au service mais aussi de patients. De plus, après une période test dans certains services et un retour d’expérience aux instances, il paraît important d’étendre la démarche à l’ensemble de la structure.

Etape 2 : Créer le groupe de travail

Composer le groupe de travail représentatif de l’activité : Médecins, IDE, AS, ASH, Secrétaires, etc.

Les objectifs du groupe sont de :

  • promouvoir le projet dans l’équipe et à l’extérieur de l’équipe,
  • travailler sur l’organisation des soins en lien avec la gestion de l’interruption de tâche,
  • lister et valider les actes qui ne doivent pas être interrompus au sein du service.

Etape 3 : Identier les tâches à risque

L’acte à risque est identifié en fonction de ses conséquences potentielles en cas de mauvaise réalisation. Il peut s’agir par exemple de :

  • transfusion sanguine,
  • préparation et administration de traitement (IV, per os…),
  • prescription médicale, en particulier si elle est informatisée.

Il vaut mieux limiter le nombre d’actes à risques, voire ne conserver que celui le plus contributif aux EIG. L’adhésion aux consignes de non-interruption n’en sera que meilleure.

Il est possible par exemple de commencer par la préparation des médicaments, tâche hautement exposée aux erreurs avec un impact parfois dramatique sur le patient, comme l’a démontré l’étude MERVEIL5.

Etape 4 : Définir les organisations limitant les interruptions de tâche

Réorganiser, étape essentielle

L’organisation définie a pour objectif de limiter les interruptions de tâche aux seules absolument indispensables (exemple : appel à l’aide pour un arrêt cardiaque dans une chambre) et de redistribuer la disponibilité. Les outils ne sont qu’une aide à cette organisation.

  • Il faut donc identifier les sources d’interruption de tâches au sein de l’équipe : téléphone, appel malade, visiteurs, interpellation entre professionnels de même service, appels des laboratoires de biologie, des "prestataires de service", livraisons etc.
  • Pour ce faire, un relevé des IT pourra être réalisé de manière exhaustive sur une période donnée (par exemple une semaine de jour et de nuit) soit par un observateur externe soit par les soignants eux-mêmes. Ils noteront sur une grille papier individuelle, la nature de l’interruption et, selon leur perception, le niveau de pertinence de celle-ci.
  • Réfléchir ensuite en équipe à la notion d’urgence dans la transmission :
    - Qu'est-ce qui est vraiment urgent ? (le différencier de ce qui est pressé !)
    - Qu'est-ce qui peut être différé ?

Quelques exemples d'organisation

  • Désigner une personne pour répondre au téléphone.
  • Limiter le nombre d’appels en travaillant en amont sur ceux qui peuvent être évités, réorganisés, réorientés.
  • Mettre en place des supports permettant la transmission d’informations (fiche de synthèse d’appel, cahier, accusé réception…).
  • Formaliser des temps d’échange à heure fixe permettant le transfert d’informations.
  • Différer le passage d’information quand elle peut l’être (se poser la question : est-ce urgent ? est-ce seulement pressé pour moi ?).
  • Organiser la réponse aux sonnettes.
  • Organiser la disponibilité pour l’information du patient et de ses proches.
  • Isoler les tâches à risque (bande de confidentialité et salle fermée non accessible).
  • Organiser la gestion des brancardiers…

Etape 5 : Les outils d'aide

Des outils existent pour signaler que le professionnel réalise un acte identifié comme ne devant pas être dérangé. Il est important de choisir le bon outil. Il doit :

  • être adapté en premier lieu à la typologie et à la topographie des activités de soins (réanimation, bloc, service de chirurgie ou de médecine, pédiatrie, chambres, box...) ;
  • mais aussi être adapté à la capacité d’acceptation culturelle des équipes : il ne faut pas sous-estimer le sentiment d’être "ridicule", qui fera échouer l’observance ;
  • intégrer les problématiques de confort, en particulier en ce qui concerne le port des dossards, des gilets ou des brassards ainsi que la problématique d’hygiène et de la désinfection des dispositifs.

Quelques exemples d'outils...

Etape 6 : Communiquer à destination des patients

Les interruptions de tâches, en particulier lors de l’administration des médicaments, au plus près du patient ou dans les salles de soins, peuvent être le fait des patients ou de leurs proches. Il est donc important de communiquer avec les patients et le public :

  • lorsqu’ils ont une question à poser, ils doivent éviter de s’adresser au soignant porteur du signe de reconnaissance ;
  • un affichage peut être organisé à destination des patients à l’entrée du service et/ou de la salle de soin, la remise aussi de flyer à intégrer par exemple au livret d’accueil ;
  • si le soignant est interpellé par le patient pendant un soin, le soignant doit lui proposer de terminer le soin et de répondre à sa question à l’issue de celui-ci ;
  • il est important d’organiser au sein du service la disponibilité des soignants pour répondre aux questions soit directes soit téléphoniques.

Etape 7 : Rappeler et former aux bonnes pratiques

L’opérateur doit pouvoir refuser de se laisser interrompre.

  • Apprendre à expliquer avec bienveillance au patient, à la famille, aux collègues, la nécessité de ne pas être interrompu.
  • Accepter soi-même de ne pas avoir une réponse immédiate.
  • Porter le signe de reconnaissance validé par l‘équipe.
  • Si l’interruption est nécessaire, savoir gérer l’interruption en utilisant la "minute d’arrêt" :
    - Repérer le point précis de son interruption.
    - Recommencer au point précis de l’interruption.
    - Si ce point est inconnu, reprendre entièrement la procédure.
  • Quant à celui qui interrompt pour une raison justifiée, il doit impérativement rappeler à celui qu’il a interrompu de retourner à sa tâche !

Notes

1. L’interruption de tâche lors de l’administration des médicaments "Comment pouvons-nous créer un système où les bonnes interruptions sont autorisées et les mauvaises bloquées" - HAS Janvier 2016.
2. Video "HAS - Interruption de tâche lors de l'administration des médicaments".
3. Moll MC, Roue V. Gestion de l'interruptions de tâche, facteur de fiabilité. JIQHS, 2013.
4. Biron AD, Loiselle CG, Lavoie-Tremblay M. Work interruptions and their contribution to medication administration errors: an evidence review. Worldviews Evid Based Nurs 2009;6(2):70-86.
5. Société française de pharmacie clinique. Etude multicentrique pour l’évaluation de la revue des erreurs et de leur iatrogénie liées aux médicaments. Janvier 2009 – Novembre 2009. Le protocole de recherche de l’étude MERVEIL Paris: SFPC; 2010. http://www.omedit-basse-normandie.fr/ gallery_files/site/1533/1534/1571/2192/2824/ 4678.